«Tout le monde s’attendait à ce que l’on échoue et nous avons échoué»: fumée noire à l’issue du conclave sur les retraites
Quatre mois de discussions sur la «réforme des 64 ans» aboutissent sur un échec cuisant pour François Bayrou.
Après quatre longs mois de discussions, c’est donc une fumée noire qui s’est élevée à l’issue de ce conclave. Puisque tel est le terme que François Bayrou avait employé dans son discours de politique générale pour désigner la négociation des partenaires sociaux sur la réforme des retraites d’Élisabeth Borne. À 22h30 passés, ce lundi 23 juin, les partenaires sociaux ne sont donc pas parvenus à un terrain d’entente pour amender la réforme. Syndicats et organisations patronales n’ont pu que constater qu’ils étaient dans l’impasse.
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Cette dernière réunion du conclave des retraites avait déjà mal débuté… sur le trottoir. Peu avant 15h, Patrick Martin, le président du Medef, et Amir Reza-Tofighi, président de la CPME (la confédération des petites et moyennes entreprises), sont arrivés côte à côte devant le 20 avenue de Ségur, lieu des discussions depuis le 27 février dernier. Texte commun sous le bras, les deux leaders patronaux ont tenu à afficher leur unité, loin d’être évidente depuis le début des négociations. «Vous voyez, nous sommes ensemble», a répété Patrick Martin. «On a partagé depuis le début une position commune qui était de dire il ne fallait pas dégrader l’équilibre financier et ni augmenter le coût du travail», a complété son homologue de la CPME, pour parfaire le tableau.À quelques mètres de là, Yvan Ricordeau, représentants de la CFDT, et Christelle Thieffinne, de la CFE-CGC, assistent à la scène, visiblement mécontents. «La partie patronale ne joue pas le jeu», s’agace la syndicaliste alors que les deux chefs de files du camp patronal détaillent leurs propositions.
«C’est une façon de torpiller la négociation», renchérit le négociateur cédétiste avant d’interpeller Patrick Martin, devant la presse: « Est-ce que la négociation s’opère sur le texte qu’on a discuté depuis quatre mois ?» «On ne va pas tenir la négociation ici», répond le patron du Medef. «Pourquoi la partie patronale l’a tentée sur le trottoir, alors ?» relance le syndicaliste. « C’est quoi ce guet-apens qu’on essaie de me tendre là ?», sourit pour couper court Patrick Martin avant de se frayer un chemin parmi les journalistes. Après ce préambule mouvementé, les discussions, les vraies, pouvaient enfin débuter, avec de chaque côté de la table des textes différents. Côté syndical, le compromis rédigé par Jean-Jacques Marette, animateur des discussions, et ses équipes. En face, un texte rédigé par le Medef et la CPME.
« Je me demande si dès le premier jour, les organisations patronales ont voulu un accord »
Pascale Coton, négociatrice pour la CFTC.
Finalement, au bout de la soirée, les partenaires sociaux ont acté leur désaccord. «Lorsque nous avons commencé, tout le monde s’attendait à ce que l’on échoue et nous avons échoué, personne n’est surpris», a souri désolé Eric Chevée. «Il n’y aura pas d’accord sur l’amélioration de la réforme 2023», a sobrement avancé de son côté Yves Ricordeau. «Je me demande si dès le premier jour, les organisations patronales ont voulu un accord», a ajouté Pascale Coton, négociatrice pour la CFTC. Les trois organisations syndicales ont imputé l’échec au patronat, lui reprochant d’avoir «fermé la porte aux syndicats», notamment sur le sujet de la pénibilité et du financement du rééquilibrage du système des retraites.
Sur la pénibilité, les syndicats insistaient depuis le début des négociations pour que certains critères soient mieux pris en compte dans les départs anticipés à la retraite. Une position qu’ont refusée les organisations patronales, préférant mettre l’accent sur la prévention plutôt que sur la réparation.
Sur le financement du déficit du modèle (estimé par la Cour des comptes à 6,5 milliards d’euros d’ici 2030) et des aménagements de la réforme, les partenaires sociaux se sont également quittés dos à dos. Le Béarnais avait posé comme condition à «son» conclave, qu’il ne devait pas mettre en péril l’équilibre financier de la réforme de 2023. «Nous n’étions pas en capacité d’augmenter les cotisations patronales et salariales», a répété Diane Milleron-Deperrois, négociatrice du Medef.
«On ne pourra pas dire que le Medef n’a pas fait de propositions très concrètes, a-t-elle ajouté lors de son passage devant la presse. Nous avons même fait des pas en séance aujourd’hui.» La représentante de la première organisation patronale a notamment évoqué le retour de l’âge de la décote (celui à partir duquel les assurés ont droit à une pension à taux plein, même s’ils n’ont pas le nombre de trimestres requis pour y être éligibles) à 66 ans et demi (contre 67 ans aujourd’hui).
Eric Chevée, vice-président de la CPME, a de son côté pointé du doigt la hausse du forfait social, toujours présente dans le texte de Jean-Jacques Marette, pour expliquer en partie l’échec des discussions. «Mettez-vous à notre place, nous ne pouvons pas porter l’idée d’un texte qui augmente l’impôt sur les entreprises de 10%», a-t-il avancé alors qu’une mesure proposait l’augmentation de cette contribution payée par l’employeur sur certaines primes exonérées de charges sociales de 20 à 22%. Le représentant patronal n’a toutefois pas fermé la porte à une nouvelle discussion. «Je regrette [l’échec des négociations NDLR] mais je pense que de toute façon le sujet reviendra, a-t-il assuré. Le pire serait qu’il soit laissé aux politiques.»
À la fin de cette ultime réunion, Jean-Jacques Marette a appelé le premier ministre pour lui signifier l’échec des négociations. «S’il y a un accord (au conclave), il y aura débat au Parlement, mais je ne remettrai pas en chantier s’il n’y a pas d’accord», avait rappelé François Bayrou devant les députés, mardi 17 juin. Le premier ministre avait proposé cette discussion pour donner un gage aux socialistes et ainsi donner un sursis à son gouvernement. La question de la censure, déjà promise par les députés LFI, va à présent revenir en force.
lefigaro