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La chronique du médiateur : introspection vingt ans après l’affaire Cantat

La chronique du médiateur : introspection vingt ans après l’affaire Cantat

Le 1er août 2003, la comédienne Marie Trintignant, 41 ans, mourait à l’hôpital de Neuilly-sur-Seine, des suites de coups portés quelques jours plus tôt à Vilnius par son compagnon Bertrand Cantat, 39 ans, chanteur du groupe Noir Désir. En mars 2004, en Lituanie, le Bordelais était condamné à huit ans de prison. Comme l’ensemble des médias, « Sud Ouest » a rendu compte de ce fait divers. Le propos de cette chronique n’est pas de « refaire » l’affaire. La justice est passée. Mais une série documentaire, sur Netflix, a récemment remis ce drame dans l’actualité.

Comment l’avions-nous traité ? Un collègue, David Patsouris, jeune journaliste à « Sud Ouest » en 2003, pose la question. « Dans la passionnante série ‘‘De rock star à tueur’’, j’ai été marqué par le témoignage de la journaliste télé Michelle Fines, dit-il. Elle explique qu’elle ne raconterait plus, en 2025, l’histoire de la même manière. Ses propos démontrent à quel point le regard sur les meurtres de femmes a changé. Le mot ‘‘féminicide’’ n’existait pas, personne ou presque n’aurait eu l’idée de l’utiliser. Je me souviens que ce féminicide avait bouleversé notre rédaction. Plusieurs journalistes de ‘‘Sud Ouest’’ connaissaient Bertrand Cantat personnellement, d’autres simplement l’admiraient. Il y a certainement un examen de conscience à faire. »

« Ce fut la stupeur, la sidération. J’ai essayé de joindre des proches du groupe. Aucune réponse »

Nous avons donc relu nos articles. Nous n’y avons pas vu le mot « féminicide » mais pas non plus de parti pris « local ». À cette époque, avant Internet, on mesure surtout que les informations provenant du pays balte étaient rares. Stéphane Jonathan, chef du service culture, était au bureau à Bordeaux en juillet 2003. « L’AFP a d’abord annoncé que Marie Trintignant était dans le coma suite aux coups portés par son compagnon. Sans donner le nom du compagnon, se souvient-il. Je savais qu’elle et Bertrand Cantat étaient ensemble. Mais j’ignorais qu’il était à Vilnius. Cela me paraissait improbable car Noir Désir devait jouer quelques jours plus tard à Langon. Je pensais qu’il était ici… Puis son nom a été donné par l’AFP. Ce fut la stupeur, la sidération. J’ai essayé de joindre des proches du groupe. Aucune réponse. »

« C’est dur, dans ce contexte, de parler de quelqu’un qu’on connaît, poursuit le journaliste. C’était un fait divers, je suis un journaliste spécialiste de culture… Mais en plein été, avec la moitié de la rédaction en vacances, j’ai dû m’y coller. Vingt ans plus tard, tout a changé. On n’aborderait pas le sujet de la même façon. À chaud, j’ai avant tout parlé de celui qui était alors la grande rock star de France. Je connaissais le personnage, un peu l’homme qui avait une bonne image… »

« La leçon, c’est que, quand on écrit, on n’est pas coupé de l’air du temps, de l’ambiance dans laquelle on se trouve »

Dominique Richard, journaliste retraité, était chargé de l’investigation à « Sud Ouest ». « Je n’ai pas écrit qu’il s’agissait d’un crime passionnel », précise-t-il. Il a longtemps enquêté, notamment en 2010 au moment du suicide de Kristina Rady, la compagne de Bertrand Cantat. Car une plainte – qui sera classée sans suite – accusait le chanteur de violences sur son ex-femme. « À ‘‘Sud Ouest’’, on ne m’a jamais interdit d’écrire un article sur cette affaire, assure Dominique Richard. Mais il est clair qu’à Bordeaux, le monde musical, culturel, a gardé le silence. Et ce monde avait des relais en ville comme à ‘‘Sud Ouest’’, il a fait pression comme il pouvait, partout où il pouvait. Cette omerta existe toujours puisque Netflix [que Dominique Richard a conseillé pour sa série, NDLR] n’a trouvé personne pour témoigner, vingt ans après… », attitude classique de proches faisant bloc autour d’un des leurs en difficulté.

Dans « Sud Ouest Dimanche » du 3 août 2003, le rédacteur en chef Yves Harté a écrit un éditorial dont le titre – « L’amour fou » –résume le contenu. Qu’en dit-il ? « J’assume mais, aujourd’hui, je n’écrirais pas de la même façon. Je n’ai pas assez insisté sur la gravité de l’acte. La leçon, c’est que, quand on écrit, on n’est pas coupé de l’air du temps, de l’ambiance dans laquelle on se trouve. On essaie de faire de la ‘‘littérature’’ sur fond de tragédie et on passe à côté de la vérité toute crue : une femme a été tuée par un homme… Les ‘‘Inrocks’’, ‘‘Libé’’, nous, on est directement allés chercher le pourquoi de ce qui s’était passé alors que ce n’était pas le moment. » Dont acte.

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