Le Satyricon de Maderna, ou le postmoderne avant le postmoderne
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Bruno Maderna (Ansa)
Le choix gagnant est d'avoir appliqué la variété des formes musicales, avec un rythme rapide, comme un clip vidéo, au roman de Pétrone, qui est à son tour une digression continue et au livret polyglotte qui en est tiré et qui mélange le latin, l'anglais, le français et l'allemand, construisant une dramaturgie "à panneaux" qui n'a pas de faiblesses.
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L'homme ne vit pas seulement à Sanremo et donc, pour reprendre son souffle pendant la rage de l'Abbronzatissimo, nous sommes allés à la Comunale de Bolzano, mais dans la petite salle du Studio, pour une nouvelle production de Satyricon de Bruno Maderna qui, contrairement à de nombreuses œuvres des années 70, n'a pas subi le genre d'obsolescence non planifiée qui en a affecté d'autres. En effet, cela paraît presque prophétique, comme cela arrive avec les créateurs si intelligents qu’ils semblent en décalage avec leur temps, comme Maderna.
N’ayant pas renié mais dépassé l’orthodoxie avant-gardiste et la rigueur sérialiste, ici le terminal Maderna pratique le postmodernisme avant même que le mot ne soit inventé. Alors, la partition comme collage, comme palimpseste, comme citation de citations, comme citation au carré, au cube, au n-ième degré, où elle commence par un chœur presque haendelien, puis arrive Lehár, nous arrivons à Wagner, la comédie musicale apparaît, Till l'Espiègle pointe le bout de son nez, des échos de Kurt Weill et des fragments de Bizet errent, Gluck est chanté littéralement et Tchaïkovski est déformé, et qu'est-ce que c'est que ça ? Oh oui, c'est la valse de Musetta, tandis que la prima donna lance des notes aiguës comme Lucia di Lammermoor sous acide, peut-être sur fond de bande magnétique.
Un merveilleux smoothie pré-postmoderne, vertigineux et déconcertant, haut et bas à la fois, et toujours avec un rythme rapide, genre clip vidéo . Mais, justement, c'est un opéra : le choix gagnant est d'avoir appliqué cette variété de formes musicales au roman de Pétrone, qui est à son tour une digression continue, et au livret polyglotte qui en est tiré, qui mélange le latin, l'anglais, le français et l'allemand, construisant une dramaturgie "à panneaux" qui ne fait aucune concession. Même les dénonciations sociales obligatoires de la décadence et de l’opulence bourgeoises, précisément celles de Seventy (« Jupiter est le compte en banque »), semblent justes, ou du moins pas outrageusement idéologiques.
D'autant plus que le spectacle est de haut niveau, bien dirigé par Tonino Battista avec un Orchestre Haydn qui permet d'apprécier l'excellente qualité de ses premières parties, presque toutes très exposées notamment dans les moqueries expressionnistes. La mise en scène de Manu Lalli est assez prudente dans la narration des dépravations orgiaques attendues mais elle travaille, beaucoup sur la musique, avec des costumes à la Casanova de Fellini, "sérieux" quand il le faut mais toujours avec la bonne dose d'ironie, et des mouvements appropriés également de la part des garçons d'une école professionnelle locale, les Einaudi, impliqués dans la production comme un chœur silencieux mais participant. Excellente donc la compagnie, pas seulement « lyrique », dominée par le Trimalcione de Marcello Nardis qui nous laisse entrevoir la vérité de l'homme derrière la caricature du nouveau riche, dont la mort est donc sinistrement émouvante, et de sa femme Fortunata, Costanza Savarese, intense et délicieuse à la fois. Mais il y a aussi un ténor musical avec une belle voix, Joel O'Cangha. Beaucoup d'applaudissements de la part des happy few dans une petite salle presque pleine, et puis il y avait même le temps de rentrer à l'hôtel et voir Duran Duran : mais ils sont vintage, Maderna est contemporain .
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