Félix Vallotton a porté un regard critique sur son époque. Il lui arrivait d'afficher ouvertement son mépris pour les femmes.

Qu’aurait dit Ida Hofmann, militante féministe et contemporaine de Vallotton, à propos de son œuvre ? Un regard de son point de vue sur l’artiste suisse, auquel le Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne consacre une rétrospective à l’occasion du centenaire de sa mort.
Uta Appel Tallone

Jean-Pierre Kuhn/SIK ; Don de Hahnloser-Bühler, Jäggli-Hahnloser, Hahnloser
Ils auraient très bien pu se rencontrer. En 1904, par exemple, à Paris. Un échange d'idées harmonieux entre eux aurait probablement été impossible. Lui était trop attaché aux conventions et à l'étiquette, elle trop rebelle et radicale dans ses opinions. Nous parlons de Félix Vallotton (1865-1925), célèbre peintre franco-suisse installé à Paris, et d'Ida Hofmann (1864-1926), pianiste, militante féministe et cofondatrice de la légendaire commune de Monte Verità au Tessin.
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Félix Vallotton, dont on commémore le centenaire de la mort le 29 décembre prochain, était un peintre de paysages idylliques, presque abstraits, aux couleurs intenses. Ses couchers de soleil aux teintes vibrantes d'orange et de violet sont sans égal. Mais il était aussi un chroniqueur sceptique et sarcastique des scènes de vie en intérieur. Ce qui se passe dans ces pièces demeure un mystère.

Qu’aurait dit Ida Hofmann à propos de cette œuvre si elles s’étaient rencontrées ? À l’été 1904, poussée par de nombreux motifs, elle et son compagnon Henri Oedenkoven entreprirent un voyage d’Ascona à Paris, en passant par Constance et Munich.
Ida Hofmann, qui, dès 1900, avec une grande détermination et une volonté de créer frôlant l'obstination, avait créé sur la colline surplombant Ascona un lieu qui représentait un contre-modèle à la société de l'époque – les mots clés étant végétarisme, nudisme, musicothérapie et danse-thérapie, autosuffisance – avait une vision particulièrement lucide et alerte de ce que la vie parisienne lui offrait.

Hervé Lewandowski / Grand Palais
Avec une plume acérée, elle livre dans son ouvrage très accessible « Monte Verità. La vérité sans fiction » une étude de caractère sans concession de la société parisienne hypocrite et pompeuse, qui se prétend distinguée et cultivée. Par moments, le récit évoque une chronique sociale de Félix Vallotton.
Vallotton lui-même s'est distancié du vide de la vie sociale dans de nombreuses gravures sur bois et peintures, actuellement exposées dans une importante rétrospective à Lausanne, sa ville natale. Il est devenu célèbre non seulement pour ces œuvres, mais aussi pour son ironie mordante et sa mise à nu des conditions sociales ambivalentes dont il faisait lui-même partie.

Hans Naef / Kunsthaus Zürich

Son mariage avec une riche veuve lui permit de passer du statut de critique d'art, illustrateur et peintre désargenté à celui d'artiste aisé. Il ne se sentit jamais à sa place dans les cercles bourgeois. Son style était en décalage avec son époque. De son vivant, il fut souvent incompris, voire parfois ridiculisé.
Le vide des élitesDans son reportage sur la vie parisienne, publié pour la première fois en 1906, Ida Hofmann, sur un ton sarcastique et polémique, s'interroge sur la relativité des notions de confort, de décence, de coutume et de beauté qu'elle a découvertes dans la capitale française : « On se déplace dans une chaleur étouffante ; tous les bruits naturels sont étouffés par d'épais tapis, des rideaux et des meubles capitonnés. À l'exception du personnel de maison, qui s'affaire dès le petit matin à maintenir la splendeur des appartements, les habitants restent au lit jusqu'à 11 ou 12 heures. »
Elle décrit des scènes que Vallotton cherchait à recréer dans ses intérieurs : « Les conversations à table tournent autour des divertissements du jour et abordent souvent des sous-entendus obscènes ou des plaintes concernant les domestiques qui, attendant le moindre signe de tête de leurs maîtres, restent servilement près de la table… »
Ses observations se terminent par une description moqueuse des disputes sur des futilités et culminent dans la remarque perspicace : « Les apparences sont maintenues en tout point… » La colère et l’indignation d’Ida Hofmann, qui concernent non seulement les apparences extérieures mais aussi le ton des interactions interpersonnelles, sont indéniables.
La critique sociale de Vallotton, cependant, sonne comme une critique acerbe. Dans son journal, il notait en août 1918 : « Toute ma vie, je suis resté derrière une vitre à observer la vie qui se déroule à l’extérieur, sans y prendre part. »
Peintre de nus fémininsMais en 1891, après avoir visité l'exposition des femmes artistes de l'Union des femmes peintres et sculpteurs de France, il écrivit dans une critique pour la « Gazette de Lausanne » : « Dans tous ces tableaux, ce qui choque avant tout, ce sont les grossièretés, intentionnelles ou non, la maladresse et le manque de goût. »
Il continuait à laisser libre cours à son mépris pour les artistes femmes exposantes : « Apparemment, l'esprit féminin, auquel nous attribuons habituellement le domaine de la grâce, trouve du plaisir dans la laideur et, lorsqu'il se révèle dans la peinture, devient sobre et d'une vulgarité effrontée. »

Voilà qui est fort. Une critique aussi virulente et hostile aurait non seulement indigné une féministe comme Ida Hofmann, mais elle l'aurait aussi affronté sans crainte, le déstabilisant au moins momentanément. Si seulement elle l'avait rencontré à l'époque ! Les historiens de l'art ont eu tendance à négliger ou à minimiser ces propos de l'artiste lui-même, comme on peut le lire dans la biographie de Vallotton par Werner Weber, « Eden and Misery ».
Félix Vallotton a également peint de nombreux nus féminins. Ses représentations stylisées de la nudité féminine, où il semble anticiper le mouvement de la Nouvelle Objectivité, apparaissent souvent d'une sensualité saisissante. C'est particulièrement vrai du tableau où l'artiste zoome sur une fesse présentant une cellulite naissante (« Étude de fesses », 1884), comme s'il s'agissait d'un paysage. Dans ces œuvres, on perçoit sa distance vis-à-vis des femmes. Il observait leur émancipation avec scepticisme et, comme le révèlent ses écrits, craignait leur domination.

Collection particulière / Etienne Malapert / Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne
On ne peut qu'imaginer la réaction d'Ida Hofmann face aux nus féminins de Vallotton. Peut-être se serait-elle penchée en avant vers l'un de ces tableaux encadrés, le regard insensible à l'ombre d'un chapeau ou, pire encore, d'un voile. Elle aurait simplement contemplé l'œuvre, puis – peut-être – murmuré un commentaire provocateur dans le silence de l'espace d'exposition. Elle n'était pas du genre à mâcher ses mots lorsqu'il s'agissait d'art contemporain.
«Vallotton pour toujours. La rétrospective», Musée cantonal des Beaux-Arts, Lausanne, jusqu'au 15 février 2026, catalogue : Fr. 49.–.
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