Quel rapport entre les souris et l'effondrement de l'Union soviétique ?

Dans le nouveau roman de Yulia Marfutova, les adorables rongeurs jouent un rôle majeur. Leurs fonctions exactes et leurs conséquences restent toutefois floues.
Paul Jandl

Peut-on faire confiance aux souris ? Elles ont tendance à agir discrètement et ne sont pas vraiment réputées pour leur talent de conteuses. Mais dans ce roman, c’est indispensable. Ces rongeurs, doués pour le langage, savent tout, veulent faire revivre l’histoire d’une famille s’étendant sur un siècle, et ne s’offusquent probablement même pas de ne pas figurer dans le titre.
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« Une chance est un oiseau pas plus gros qu'un moineau » est le titre du deuxième livre de Yulia Marfutova. C'est une œuvre courte et complexe, en raison des brusques rebondissements de l'intrigue – un fait dont les souris narratrices sont au moins conscientes. Elles ne sont pas vraiment des souris sauteuses, font-elles remarquer de temps à autre.
Trois adolescents, âgés de dix-sept, seize et dix ans, écoutent des récits très détaillés sur l'Union soviétique des années 1980. Leur mère, Marina, est encore une enfant à cette époque et vit à Moscou avec sa propre mère, Nina. Leur père est parti vivre dans une autre région du pays. Leur meilleure amie est Vera, la fille de la voisine. Ensemble, elles inventent une histoire qui, telle une bouteille à la mer, hante le roman. Elles fabriquent une lettre de Grisha, émigré en Amérique, dans laquelle il décrit la beauté de sa nouvelle patrie.
Au même moment, la mère de Marina fait un rêve inquiétant à propos d'une valise. Ce rêve est significatif car cette ingénieure de l'époque soviétique est aussi médium, une « ecstrasen », comme on les appelle en Russie. Ses rêves révèlent l'avenir et elle peut également lire dans les feuilles de thé.
Dans la monstrueuse vie quotidienneYulia Marfutova tisse avec humour des liens entre les différentes sphères de la réalité qui avaient déjà marqué ses débuts remarquables en 2021. Dans « Le ciel d'il y a cent ans », le roman explore également des sentiments ambivalents au fil du temps : quelle est la réalité sur laquelle on peut s'accorder dans le vaste empire russe ?
Le fait que le nouveau roman de Yulia Marfutova introduit une strate de réalité supplémentaire avec ses souris parlantes ne simplifie rien. Ainsi, « Une chance est un oiseau pas plus gros qu'un moineau » demeure un hybride fluctuant de fantasmagorie, d'histoire contemporaine et d'autofiction. La mignonnerie des rongeurs occulte la nature monstrueuse du quotidien qu'ils décrivent. Par ailleurs, rien contre les souris, mais quiconque perd le fil de ses pensées aussi souvent ferait mieux de se concentrer sur l'essentiel.
Très progressivement, le roman installe l'atmosphère, sans doute assez courante, d'un immeuble moscovite des années 1980. Chacun doit trouver sa propre manière d'égayer cette morosité. Vera et Marina y parviennent en rêvant de mondes lointains et libres, et passent même un week-end à la datcha des parents de Vera. Le père de Vera a été victime d'un prétendu accident en prison et se trouve désormais entre la vie et la mort.
La mère de Marina n'est pas vraiment un modèle de gaieté, et dans cette communauté soviétique prisonnière du destin, une seule lueur d'espoir subsiste : Anton, étudiant engagé politiquement. Ses mots favoris sont « pertinent » et « non pertinent ». À mesure que sa relation avec la jeune Marina prend une tournure plus concrète, des termes liés aux activités clandestines d'Anton s'insinuent dans le récit : « Sochnut », par exemple, le nom de l'agence juive qui aide les personnes souhaitant émigrer.
L'effondrement est imminent.Le roman peine de plus en plus à distinguer l'essentiel du superflu. L'histoire familiale de la mère et de la grand-mère de Marina est relatée à voix basse. Le déménagement de la province à la capitale est décrit. On évoque un passé dans le shtetl juif ukrainien. Une grand-mère stalinienne fait son apparition. « Un temps qui n'est pas le nôtre s'immisce dans nos esprits », affirme le roman, mêlant plusieurs réalités contemporaines.
Les années 1980, au cœur du récit, sont une époque d'une grande instabilité, presque explosive. À la lecture du roman de Yulia Marfutova, on s'interroge sur les raisons de l'effondrement soudain de l'empire soviétique. Le mot « perestroïka » résonne parfois sur les ondes des radios clandestines, mais la réalité est dominée par de nouvelles forces montantes. Des pogroms éclatent. Le Pamyat, mouvement ultranationaliste et antisémite, gagne en puissance. À la télévision, Anatoly Kashpirovsky, alias « Ekstrasens », captive les foules. Cet hypnotiseur et guérisseur d'extrême droite compte encore aujourd'hui 500 000 abonnés sur YouTube. Il surnomme l'Europe libérale « Gayropa ».
Pour explorer les profondeurs du roman de Marfutova, il faut rassembler de nombreuses informations grâce à des recherches en ligne. Ce conte de fées, qui traite de la vérité, demeure malheureusement incohérent malgré ses thèmes ambitieux. La fin – que l'on devine car « Une chance est un oiseau de la taille d'un moineau » contient clairement des éléments autofictionnels – est heureuse. Marina et Anton prennent la route pour l'Allemagne. Le rêve de Nina, celui de la valise, s'est réalisé, à son grand désarroi, mais pour le plus grand bonheur de sa fille.
Yulia Marfutova : Une chance est un oiseau pas plus gros qu'un moineau. Roman. Rowohlt-Verlag, Hambourg 2025. 144 pp., CHF 32.90.
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